Lettre ouverte au ministre chargé de l’Enseignement supérieur : « Remettre le Bac à ses vrais propriétaires »
Monsieur le Ministre,
Je souhaite qu’il vous plaise de remettre le Bac à ses vrais propriétaires que sont les enseignants du secondaire. Une injustice tue, subie, ruminée, intériorisée, même depuis des décennies, demeure une injustice. C’est vrai que la Charte de Kurukan Fuga énonce que « les mensonges qui ont vécu 40 ans doivent être considérés comme des vérités ». Mais comme la charte date du 13e siècle, laissez-nous lui opposer la prescription actuelle qui rend certains « crimes imprescriptibles ».
L’on pourrait soumettre à un doctorant de thèse de Doctorat unique (ou à un Comité technique et scientifique, pour être dans l’air du temps) un sujet du genre : « Brigandage du Bac par l’Université : justification absconse en clair-obscur à reflets sur un esprit brumeux : cas symptomatique de l’Université Joseph Ki -Zerbo de Ouagadougou (1) ». Or pourtant ! Il n’est point besoin de tant de circonvolutions. Un élève de Seconde des lycées et collèges qui apprend le raisonnement logique, au contact de son premier cours de philosophie, identifierait vitement le caractère spécieux, le raisonnement sophiste de l’Université qui confère au Bac son titre ronflant de : « 1er diplôme universitaire ».
Oh là ! Un instant ! Le préscolaire dure trois ans. Il est la véritable porte d’entrée de tout le système éducatif. Pourtant, il n’a ni attestation ni diplôme en fin de cycle. Et la prestigieuse Université ne s’en offusque pas. Le Certificat d’études primaires (CEP), véritable diplôme qui ouvre droit à tous les autres, au Burkina, sanctionne les études de fin de cycle du… primaire. Pour toute logique respectée, ce diplôme aurait dû être revendiqué par l’Université.
Or, notre université a des oreilles bouchées à la cire, des yeux collés à la glue tandis que sa bouche porte un garrot pour ne pas dire un bâillon. Poursuivons. Le Brevet d’études du premier cycle (BEPC) sanctionne la fin des études du… premier cycle (ou post-primaire). Bien que ce diplôme dorme à trois ans du Bac, l’Université ne sent aucune odeur… de proximité, voire de promiscuité ! Alors, dites-nous ! D’où nous vient-il que brusquement, tout à coup, soudain, par une exhalaison odorante de liasse de vieux billets d’anciens Ecos, des cerveaux brillants, par un postulat obscur, réveillent le Baccalauréat entre les bras de l’Université, délestant le cycle secondaire de son diplôme ?
Ainsi, bien que les programmes d’enseignement soient conçus par les inspecteurs du secondaire, les enseignements, les propositions de sujets et leurs corrigés, la correction des épreuves du Bac soient assurés par des professeurs du secondaire pendant que l’administration matérielle, la surveillance des examens soient assurées par la chaine des acteurs du post-primaire et secondaire, l’Université brigande le Bac, et ce depuis plusieurs décennies.
Et la raison, me demandez-vous ? Parce que, par la volonté du Prince, l’Office du Bac loge à l’Université. Y-a-t-il un autre argument ? Oui, parce qu’un Professeur d’Université se voit intimer l’ordre de se pointer à un Centre d’examen du Bac, de vérifier s’il y a une antenne parabolique sur sa villa de fonction de président de Jury et une semaine après de gribouiller une signature sur un papier. Pas deux sans trois arguments ! Eh bien, là où il y a les sous, là gît la force, que dis-je, la forfaiture ! En voulez-vous une quatrième ? Eh oui, c’est une arnaque, un hold-up.
Oh là là ! J’entends ! Il est bien gonflé celui-là, murmure-t-on ! À souhait, je peux me répéter. Ainsi donc, un élève qui n’a jamais mis pied dans une Université, qui n’a jamais assisté à un cours dispensé par un professeur d’Université, peut, en l’espace d’une simple signature, détenir un diplôme de cette université ? Une Université n’est pas tenue par l’exemple ? Ses responsables ne sont pas tenus par des valeurs ? Çà renifle les feuilles, les plie et les empoche ? Arrêtons-nous.
Voyez-vous, entre intellectuels, il n’est point besoin de faire un dessin. Hormis que le Baccalauréat est une affaire de gros per diem et de voluptueuses indemnités, un universitaire, même avec un gros complexe de supériorité, n’arracherait pas le Bac des mains du secondaire. « Ce n’est pas pour toi », aurait crié un enfant de maternelle. Même gourmand, le fautif aurait mordu la mangue une fois, à pleines dents, mais il aurait vite fait de mettre le reste à son propriétaire, avant l’arrivée de la maîtresse. Autrement, cela s’appelle du vol caractériel !
Professeur, soyons tranchants ! Le Bac est un diplôme de fin de cycle. Point. Celui du second cycle. Barre ! Le Bac n’est pas un diplôme universitaire parce qu’il n’est pas le fruit d’un enseignement universitaire. Sauf votre émérite respect, l’Université triche. Et ce depuis des années ! L’Université délivre du faux. Et ce depuis des décennies.
L’Université, parce qu’elle se dit impécunieuse, ne peux pas continuer à embarquer nos prestigieux enseignants dans cette tricherie pour conférer à un diplôme une valeur dont ils ignorent tout des programmes, des enseignements et des évaluations. Il y a une fin à tout : même à l’arnaque, au braconnage, au brigandage par la toge, bref au vol de haut vol.
Nous avons démarré par un souhait. Terminons. Il peut être salutaire, avant que les syndicats et les professeurs, qui veillent sur leurs honneurs, leurs acquis matériels et moraux légitimes, n’en fassent un point de revendications, que les deux professeurs d’Université qui, à un moment donné de notre histoire, dirigent concomitamment l’Éducation et l’Enseignement, s’accordent pour rendre à la femme de César sa beauté : rendre le Bac à la chaine des acteurs du post primaire et du second cycle.
Merci Prof ! Ils vous le revaudront.
André-Eugène ILBOUDO